l'histoire de ton personnage
«
Madame Kowalski a eu accident. Nous ... Nous l'avons hospitalisé d'urgence. » le médecin nous observait, serrant fermement le bloc-notes qu'il tenait entre les mains. Pour le coup, le mot « urgence » sonnait vrai. Nous n'étions pas dans les films où certaines répliques semblaient exagérées. Pour le coup, mon père, mon frère et moi-même étions face à la réalité, une cruelle réalité. Je savais que ma mère avait été victime d'un accident de voiture et savais également que son état s'avérait critique étant donné qu'elle avait été placée à la place du mort (...) «
Est-ce que nous pouvons la voir ? » répliqua mon père d'une voix cassée, due à l'émotion probablement. «
Pas pour l'instant monsieur Kowalski. Restez ici, je reviendrai vous chercher lorsque nous aurons terminés. » Terminé ? Que devaient-ils terminer ? Je n'étais pas convaincu par la franchise de ce toubib encore moins par son sourire crispé, me donnant froidement les jetons. Ma main s'appliqua tendrement sur celle de mon père qui fut parcouru d'un sursaut. Je n'avais jamais été aussi proche de lui qu'à cet instant. Les rares moments intimes entre père et fils n'existaient que très - trop - peu et c'est là, assis dans cette foutue salle d'attente de ce maudit hôpital que je me rendais compte de tout ce que j'avais bien pu rater en sa compagnie. «
Ils ont intérêt de ramener maman intacte du bloc. » marmonnais-je entre mes dents. Lorsqu'on a seize ans et qu'on vient de vous annoncer que votre mère était entre la vie et la mort, on ne pensait qu'à sa survie, rien de plus. J'étais d'ailleurs confiant quant à la survie de ma mère. C'était une battante. Mais lorsque le médecin revint vers nous et demanda à voir mon père en privé, je compris qu'il y avait eu des complications. Tendu, j'observais mon paternel se diriger vers la salle avoisinante, accompagné par ce médecin dont l'apparence me faisait penser à mon grand-père. Malgré la porte close, je pus réussir à lire sur les lèvres du toubib un «
Nous n'avons rien pu faire. » Je déglutis, croyant vaciller et songeant au fait que je venais d'halluciner. Je perdis rapidement pied lorsque mon père, muet, me confirma mes macabres pensées en ne me lançant qu'un simple regard.
★☆★
«
Comment va-t-il aujourd'hui docteur ? » Le médecin m'attira vers un pan du corridor. L'hôpital n'était pourtant pas bondé mais mieux valait être prudent. «
Son état est stable. Disons qu'il n'a pas refait de crise démentielle et il reprend ses médicaments comme d'habitude. Monsieur Kowalski, essayez de toujours lui apporter de l'attention et aidez le à se souvenir de son passé, ce qu'il a pu faire avec vous etc. » Le médecin esquissa un sourire avant de remettre son stylo-bic dans la poche avant de sa blouse. J'avais vingt-et-un ans et je passais encore mes putains de journées dans un hôpital, de quoi démoraliser. «
Je m'excuse, je dois vous laisser. Je vous en prie, allez voir votre père, je sais qu'il sera content de vous revoir. » Son regard fut compatissant tandis qu'il appliqua une main hésitante sur mon épaule. Je restais immobile avant d'acquiescer d'un signe de tête suivis d'une poignée de mains assurées. «
Merci docteur, au revoir. » Suivant du regard la trace de la jeune femme, je finis par inspirer profondément avant de me diriger vers la salle numéro 54. Respirant un bon coup, je finis par appliquer une main sur la poignée de la porte et pénétra dans la pièce. «
Papa ? » finis-je par lâcher tout en refermant la porte suite à mon passage. L'homme âgé d'une cinquantaine d'années était assis à sa place habituelle : face à la baie vitrée qui surplombait les alentours de SouthPort. Il possédait toujours ce même petit sourire lorsqu'il contemplait malicieusement le dehors, autrement dit, tout ce qu'il ne pourra plus jamais revoir. «
Calvin ! Mon petit Calvin. Viens par ici, assis toi. Je suis content de te voir. » Son visage était tourné vers moi. Je demeurais silencieux, refroidi. Cela faisait deux jours que mon père m'appelait Harry et voilà désormais qu'il recommençait à m'appeler Calvin. Ce prénom avait été celui d'un des camarades de classe de son paternel et apparemment, ils avaient été meilleurs amis. Une nouvelle boule se forma au creux de mon estomac alors que je m'avançais plus ou moins sereinement pour prendre place aux côtés de John, mon père. Et dire que cet homme avait été un brillant écrivain autrefois. Il avait du arrêter de rédiger ses romans policiers dès lors que les mots avaient commencé à s'envoler pour ne plus revenir. Il avait d'abord crû à de la fatigue, du stress car il se ménageait beaucoup pour lui et sa petite famille. Et puis la maladie d'Alzheimer s'était installée et le foudroyait, le dévorant jour après jour. Cela faisait deux ans que je lui rendais visite dans ce centre spécialisé. Parfois, ma tante passait le voir mais c'est tout ; nous n'étions pas en très grand nombre dans notre famille. S'occuper de mon père me prenait beaucoup de mon temps libre, sans parler de mes horaires de travail ainsi que les sorties entre amis que j'effectuais - tout de même - Tant pis, pour l'instant, je me devais de m'occuper de mon père et de faire en sorte qu'il aille un peu mieux chaque jour. Au vue du stade déjà bien avancé de sa maladie, les mois étaient comptés. Tous le savaient mais je me refusais de devoir dire adieux à mon père. Après toutes les merdes qui nous sont tombées dessus, je ne voulais pas qu'il s'en aille, pas lui et surtout pas après la mort de ma mère. «
Alors papa, qu'est-ce que tu as fait de beau aujourd'hui ? » Je tentais de reprendre mes esprits tout en prenant place à ses côtés. Je connaissais son programme par cœur mais je ne pouvais m'empêcher de lui poser la question, afin de lui faire travailler les méninges. Le visage tourné vers mon interlocuteur, je me laissais un instant bercé par ses grands yeux humides avant de l'écouter s'exprimer, venant même à caler une main assurée sur son avant-bras. «
J'ai joué au bridge avec Henry puis j'ai mangé et l'infirmière, Marie, m'a donné mon repas. Et après, tu sais quoi ? » Il s'était trompé sur toute la ligne. Il jouait quotidiennement au bridge avec Calvin et l'infirmière se nommait Lucy. «
Hum ? Je t'écoute. » Mon sourire, confus, s'élargit tandis qu'il peinait à cacher son émotion. «
Teresa m'a appelée et elle m'a dit qu'elle comptait passer me voir. » Il était impossible que Teresa, ma mère, ait pu lui passer un coup de fil étant donné qu'elle était décédée il y a quelques années maintenant. S'en était trop, fallait que je foute le camps d'ici.
★☆★
Ecoute Steeve, tu commences sincèrement à me faire chier. Soit tu fais ce qu'on t'a demandé de faire, soit tu le fais pas mais tu évites de me demander de faire ton sale boulot, c'est compris ? .... Est-ce que c'est compris ? ... Ouais ... C'est ça, on se rappelle. » Raccrochant le télpéhone, je finis par le lancer sur le couvre-lit. Prenant par la suite ma tête au creux de mes mains, je fulminais. Steeve avait des problèmes, j'avais des problèmes, on n’était pas dans la merde tiens ! J'avais promis d'aider pour le braquage du soir même et voilà que mes plans s'avéraient modifiés - chose que je réfutais - Autrefois, tout avait été tellement simple ; je m'occupais de l'hôtel de mon père et basta. Maintenant, je menais une vie de criminel, probablement recherché pour braquages et cambriolages. Un hors-la-loi comme Jessie James, ça me plaisait de le dire mais moins d'y penser. Pourtant, je prenais mon boulot très à coeur et n'hésitait pas à effectuer des heures supplémentaires pour mon patron. Un fidèle allié, fidèle membre, futur bras droit du grand banditisme new yorkais ? Qui sait, peut-être qu'un jour, je le serai mais pas dans l’immédiat.